Opérations Forestières

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5,82 milliards de tonnes de carbone dans les forêts du Québec

6 avril, 2023  par Guillaume Roy. Initiative de journalisme local



Les forêts québécoises au sud de la limite nordique stockent 5,82 milliards de tonnes de carbone. D’ici 2163, elles pourraient capter 3,3 milliards de tonnes supplémentaires, selon les calculs effectués par l’équipe du Forestier en chef, qui a récemment publié le premier Bilan provincial du carbone forestier. Ce bilan permet de pousser les connaissances sur la gestion du carbone forestier et, à terme, transformer la méthode de récolte de nos forêts.

« Ça fait longtemps que l’idée d’intégrer la gestion du carbone à la gestion forestière est dans l’air », lance d’emblée Jean Girard, directeur à la direction du calcul et des analyses au Bureau du Forestier en chef, faisant référence au début des années 2010.

En approfondissant les connaissances sur les flux de carbone forestier, Québec pourrait identifier des méthodes de récolte et des techniques d’aménagement forestier qui optimiseraient la récolte tout en maximisant les stocks de carbone en forêt, explique-t-il.

Pour rendre les calculs « opérationnels », l’équipe du Forestier en chef a d’abord évalué les stocks de carbone dans 29 des 57 unités d’aménagement forestier du Québec. Ce calcul, basé sur les prévisions de récolte des possibilités forestières, a permis de déterminer une valeur de 2,97 milliards de tonnes de carbone pour ces zones, lesquelles couvrent une superficie de 16 millions d’hectares. En extrapolant sur les 31,5 millions d’hectares de forêt, le FEC arrive avec une valeur des stocks estimée à 5,82 milliards de tonnes de CO2.

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Jean Girard tient à préciser que ces données seront bonifiées, au cours des prochaines années, et que les résultats doivent être analysés avec précaution.

Selon Évelyne Thiffault, professeure au département des sciences du bois et de la forêt à l’Université Laval, ce premier jet représente une avancée technologique impressionnante. « Des simulations sont faites de manière grossière à l’échelle du Canada, mais c’est la première fois qu’une analyse aussi fine est faite sur un territoire aussi vaste », souligne l’experte du carbone forestier.


« Ce système de modélisation va permettre d’identifier quels sont les impacts des différentes stratégies de récolte. »
 Évelyne Thiffault

Plus de carbone au sud

En analysant chacune des unités d’aménagement, on peut observer des différences notables. Sans grande surprise, les forêts du sud ont un stock de carbone plus élevé par hectare.

C’est notamment « la région de l’Outaouais qui démontre la meilleure capacité de séquestration cumulative », alors que « la Côte-Nord présente la capacité de séquestration la plus faible ». C’est aussi en Outaouais que l’on retrouve la plus grande perte de productivité dans le temps, avec une baisse de 20%, comme c’est également le cas dans la Capitale-Nationale.

La capacité de stockage des forêts varie aussi d’une région à l’autre. Ce sont les unités d’aménagement 024-71 et 027-51 au Saguenay-Lac-Saint-Jean et celle 026-51, en Mauricie « qui évoluent de manière à séquestrer de plus en plus de carbone dans le temps ».

« Les forêts possèdent une productivité plus grande dans le sud de la province, ainsi qu’un aménagement forestier adapté à la composition et à la structure des peuplements qui s’y trouvent, explique-t-on dans le rapport. Par conséquent, les forêts du sud présentent une capacité de séquestration plus grande et des stocks plus élevés. »

« Le bilan permet de voir quelles méthodes d’aménagement permettent de maintenir le carbone en forêt, parce que l’adéquation entre les mètres cubes et les émissions de carbone ne sont pas toujours en adéquation parfaite », remarque Évelyne Thiffault.

L'intensification forestière pourrait permettre de réduire les émissions de GES.

Des constats inquiétants?

À la première lecture, le Bilan provincial du carbone forestier amène des constats inquiétants, notamment celui d’une baisse des stocks de carbone dans plusieurs unités d’aménagement.

« À la période 2023-2028, les réservoirs forestiers contiennent en moyenne 188 tC/ha. Cette valeur est de 182 tC/ha pour 2083-2088 et de 178 tC/ha pour 2158-2163 », peut-on y lire, soit une baisse de 5 % entre 2023 et 2063.

« En effet, les résultats semblent démontrer que les territoires aménagés avec une récolte fréquente diminueraient la productivité moyenne de l’écosystème, donc une moins grande production de photosynthèse en général », apprend-on plus loin pour expliquer en partie le phénomène.

Selon Jean Girard, il n’y a toutefois pas lieu de s’inquiéter, car ces données résultent d’un système de modélisation. « C’est peut-être un enjeu de modélisation, dit-il. On est à la limite de la science et on ne comprend pas encore très bien tout ce qui se passe. » De plus, il existe plusieurs techniques pour augmenter les stocks, par exemple le reboisement, la sélection d’arbres à croissance rapide ou la fertilisation des parcelles.

De plus, la science des forêts que l’on ne récolte pas est beaucoup moins connue que celle des forêts récoltées, que l’on suit et mesure depuis plusieurs années. « Le bilan du carbone forestier inclut les aires protégées, les pentes fortes, les îlots de vieillissement et les refuges biologiques, explique Jean Girard. L’évolution des vieilles forêts est incertaine en termes de carbone. Ce n’était pas une donnée importante pour le calcul de la possibilité forestière, mais ça devient une donnée importante à obtenir aujourd’hui. »

Habituellement, ce sont les jeunes forêts, entre 20 et 60 ans, qui obtiennent les meilleurs résultats en termes de captation. Une fois mature, le stock de carbone se maintient généralement, mais le renouvellement de la forêt diffère d’un endroit à l’autre. C’est donc le mystère qu’il faudra élucider, au cours des prochaines années.

« La capacité de séquestration de carbone par les forêts dépend de leur état initial », soutient Jean Girard. Plus la forêt est jeune et plus elle est au sud, plus elle pourra capter de carbone.

Changer la foresterie

Pour optimiser le stock de carbone en forêt, il faudra modifier certaines pratiques d’aménagement forestier. «Il faudra diminuer la superficie des surfaces récoltées et augmenter le volume de bois sur pied à l’hectare», constate Jean Girard, directeur à la direction du calcul et des analyses au Bureau du Forestier en chef, expliquant que les émissions à la récolte sont calculées par superficie récoltée.

L’aménagement intensif permettra donc de générer plus de volume à l’hectare, ce qui réduira ultimement les émissions de CO2 par mètre cube de bois récolté.

Le reboisement de territoires dégarnis, appelé l’afforestation, pourrait aussi permettre d’augmenter le stock de carbone, dit-il.

« La modélisation permettra d’explorer des stratégies de récolte alternative », estime pour sa part Évelyne Thiffault.

Les données sur le carbone permettront d'optimiser les techniques d'aménagement forestier.

Des limitations aux calculs

Ce premier bilan du carbone amène des données fort intéressantes, mais il génère aussi un lot de questions. « Le logiciel considère que le carbone qui sort de la forêt, au moment de la récolte, est réémis, explique Jean Girard. Il y a toutefois divers scénarios à évaluer, parce que la durée de séquestration dépend des produits que l’on fait. Par exemple, du bois de construction emmagasine le carbone beaucoup plus longtemps que des produits issus des pâtes et papiers. »

En intégrant les flux de carbone des produits du bois, il sera alors possible de comparer différents scénarios pour optimiser le stockage du carbone selon les méthodes de récolte et les produits générés, ajoute-t-il.

Selon Évelyne Thiffault, l’intégration du flux du carbone lié aux produits du bois permettra d’obtenir une image plus juste de la réalité, car « le carbone poursuit sa vie dans les produits du bois ».

Pour l’instant, les perturbations naturelles ne sont pas incluses dans le modèle, comme c’est d’ailleurs le cas pour le calcul des possibilités forestières, qui sont également réalisées par le Forestier en chef, remarque Jean Girard.

L’impact des changements climatiques n’a pas été modélisé non plus, pour l’instant. « Ça fait partie de la commande, mais on est aussi limité par la science disponible à l’heure actuelle », note-t-il. Il existe par exemple peu d’informations sur les mesures d’adaptation qui seront utilisées en forêt boréale, notamment la plantation de nouvelles espèces, d’arbres de nouvelle provenance ou encore de techniques d’aménagement destinées à rendre les forêts moins vulnérables aux feux.

D’ici 150 ans, les écosystèmes forestiers québécois, au sud de la limite nordique, pourraient séquestrer 3,3 milliards de tonnes d’équivalent C02.

Forêts: puits ou source de carbone?

D’ici 150 ans, les écosystèmes forestiers québécois, au sud de la limite nordique, pourraient séquestrer 3,3 milliards de tonnes d’équivalent C02, selon le premier bilan du carbone forestier. moyenne d’un québécois (9,5 t eq. CO2/an) sur 150 ans, on arrive à une production de 11,4 milliards de tonnes de CO2. À elles seules, les forêts pourraient donc capter près du quart des émissions produites, remarque Évelyne Thiffault, ajoutant que c’est un portrait trop simpliste. N’empêche que les forêts représentent un outil puissant pour lutter contre les changements climatiques, ajoute-t-elle.

Reste à voir si les perturbations viendront causer les trouble-fêtes. En temps normal, les forêts captent le carbone de l’atmosphère, mais les feux et les épidémies peuvent chambouler cet équilibre, comme ce fut le cas au cours des 20 dernières années au Canada. « Sur une échelle de 20 ans, les forêts sont une source de carbone au Canada à cause des grands feux », soutient Jean Girard.

Au cours des prochaines années, l’équipe du Forestier en chef travaillera d’abord à terminer le calcul dans les unités d’aménagements restantes. Par la suite, il faudra intégrer différentes données, dont celle liée aux changements climatiques et aux perturbations naturelles, mais aussi au stockage de carbone dans les produits du bois, tout en identifiant les approches d’aménagement les plus favorables à la séquestration de CO2, conclut Jean Girard.


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